Casanova et la synagogue de satan

Qui se donne la peine de lire un peu attentivement les Mémoires de Casanova y trouve bien autre chose que le récit de son libertinage. Franc-maçon, Casanova garde le secret, mais il ne peut résister au plaisir de se vanter de son initiation (sans doute en 1750) :

« Ce fut à Lyon qu’un respectable personnage, dont je fis la connaissance, chez M. de Rochebaron, me procura la grâce d’être admis à participer aux sublimes bagatelles de la franche-maçonnerie. Arrivé apprenti à Paris, quelques mois après j’y devins compagnon et maître. La maîtrise est certainement le suprême grade de la franche-maçonnerie ; car tous les autres que dans la suite on m’a fait prendre ne sont que des inventions agréables qui, bien que symboliques, n’ajoutent rien à la dignité de maître.

« Un jeune homme bien né qui veut voyager et connaître le monde et ce qu’on appelle le grand monde, qui ne veut pas se trouver en certains cas l’inférieur de ses égaux et être exclu de la participation de tous leurs plaisirs, doit se faire initier dans ce qu’on appelle la franche-maçonnerie.

« Les hommes qui ne se font recevoir francs-maçons que dans l’intention de parvenir à connaître le secret de l’ordre, courent grand risque de vieillir sous la truelle sans jamais atteindre leur but. Il y a cependant un secret, mais il est tellement inviolable qu’il n’a jamais été dit ou confié à personne. Ceux qui s’arrêtent à la superficie des choses, pensent que le secret consiste en mots, signes et attouchements ; ou qu’enfin le grand mot est au dernier degré.

« Erreur. Celui qui devine le secret de la franche-maçonnerie (car on ne le sait jamais qu’en le devinant), ne parvient à cette connaissance qu’à force de fréquenter les loges, qu’à force de réfléchir, de raisonner, de comparer et de déduire. Il ne le confie pas à son meilleur ami en maçonnerie, car il sait que s’il ne l’a pas deviné comme lui, il n’aura pas le talent d’en tirer parti dès qu’il le lui aura dit à l’oreille. Il se tait, et ce secret est toujours secret.

« Tout ce qui se fait en loge doit être secret ; mais ceux qui, par une indiscrétion malhonnête, ne se sont pas fait un scrupule de révéler ce qu’on y fait, n’ont point révélé l’essentiel : ils ne le savaient pas ; et s’ils l’avaient su, certes ils n’auraient pas révélé les cérémonies.

Curieusement, Casanova ajoute :

« La franche-maçonnerie, au milieu de grand nombre d’hommes du premier mérite, renferme une foule de gredins qu’aucune société ne devrait avouer, parce qu’ils sont le rebut de l’espèce humaine sous les rapports moraux.

Ce qui ne manque pas de saveur sous la plume du grand libertin. En tout cas, il sut utiliser les uns et les autres. Ses deux fidèles protecteurs, le prince de Ligne et son neveu, le compte Walkstein, seigneur de Dux, en Bohême, sont francs-maçons.

Quelques brèves allusions aux loges, dans les Mémoires, donnent une idée de l’Internationale Maçonnique. Casanova est à Amsterdam : « M. d’O…, écrit-il, m’invita à souper avec lui à la loge des bourgmestres ; faveur insigne car, contre toutes les règles de la franc-maçonnerie, on n’y admettait jamais que les 24 membres dont elle se composait, et ces 24 maçons étaient les plus riches millionnaires de la Bourse… M. d’O… me dit que j’avais soupé avec une société qui pouvait disposer d’un capital de 300 millions. »

Ploutocratie, pouvoir occulte, déjà au XVIIIè siècle ! On devine que le pouvoir réel dans les Pays-Bas d’alors était entre les mains de ces « riches millionnaires de la Bourse ».

Jacques Ploncard d’Assac – Le secret des Francs-maçons (1979) – p. 79